IM Frankfurt
A longue épreuve, longue attente, et longue news (note: clic sur une image pour ouvrir en grand). Un Ironman nous attendait le dimanche 9 juillet, pour le jour de nos 25 ans, avec une belle délégation du Rushteam. 3.8km de natation nous faisant bien peu peur comparé aux 180km de vélo où la longueur et lassitude guettaient ainsi que le marathon final que la température et fatigue préalable allait rendre difficile.
Niveau préparation vous avez sûrement suivi les news précédentes: ie pour ma part une natation où j’ai rarement porté la néoprène, misé sur ma bonne glisse générale et pensé perdre un peu de temps sur mon potentiel pour sortir de l’eau en 55min et passer sous l’heure en comptant les deux changements. Un vélo avec beaucoup de sorties longues où j’ai souvent calé aux alentours des 100-120km et me suis donc forcé à manger beaucoup. Une course à pied marquée par deux incidents de prépa : une contracture à la cuisse en début mars ainsi qu’une fracture de fatigue “low-grade” à 8 semaines de l’iron qui m’a tenu loin des baskets pour bien 6 semaines…
Au total quelques 220km de natation, 4300km de vélo de course et presque 1000km de running derrière moi en approchant de la ligne de départ. Un volume rarement égalé, le fond est là, yapluka.
Frankfurt
Si le stress était encore contenu avant la course, n’en reste pas moins que l’arrivée à Frankfurt change un peu la donne. Il faut prendre ses dossards, assister au briefing, aller à la pasta d’accueil, et ce faisant rencontrer tout ce monde venu soit pour vous voir soit pour courir contre vous. Je suis toujours pas sûr de la passer moi, cette fameuse ligne d’arrivée, avec mon maximum de 10km à pied, ce mardi, sur les deux derniers mois.
Plus on approche de l’heure fatidique et plus moi je me referme. Je tente de blaguer un peu pour détendre l’atmosphère, mais d’un côté qu’est-ce que je me réjouis du top départ et de pouvoir enfin montrer ce que je sais faire.
On va poser les vélos, qui passent pas sous les barres de rack, combien on gonfle nos boyaux?, et si on nageait un poil?, on peut rentrer se mettre à l’ombre?. Vivement les dernières pâtes, un morceau de gâteau sport maison, dont suivra un sommeil incertain et comblé de mauvais rêves de problèmes vélos.
D-Day
Matin de course, 3h45, l’hôtel Ibis Centrum bouillit déjà d’excitation. Au déjeuner c’est la file pour enfiler une tartine dans un estomac un peu serré, avec de petits yeux. Je me sens assez bien. On s’en va prendre des navettes surchargées, où je trouve une place assise, mais seul loin de Daniel, David, Kaizad et Judith qui semblent discuter. Oh mon dieu que le trajet est long, à regarder Frankfurt dormir et des milliers de triathlètes nerveux se diriger vers le Langener Waldsee. Un malaise dans le bus, il y fait très très chaud. Dehors la température est plus fraîche, un peu de rosée à recouvert nos selles de vélos, dont premier check, les boyaux tiennent toujours (ouf!). Trop de monde à la pompe, 9 bar du jour précédent suffiront donc.
Contrôle du sac de transition, où j’ajoute les lunettes oubliées la veille, et longue attente avec le groupe devant la zone de change, avant d’enfiler les néoprènes. L’eau est à 24.1C, soit juste en dessous du cut-off pour l’interdiction. Si nager sans m’aurait avantagé par rapport à des concurrents directs, nager avec me donne un poil de marge pour l’objectif sub9, et je suis plutôt venu ici avec l’idée de faire un temps qu’une place. Voir Joël et Hervé rassurés me donne aussi un petit sourir, le groupe Rushteam préférait overall la combi alors je vais pas me plaindre.
Je vais dans l’eau m’échauffer. Enfin soyons honnête, faire le pipi du stress à 10m du bord, vérifier que les épaules soient bien remontées et ressortir immédiatement. L’échauffement se fera au début de la natation, elle est suffisamment longue. Et là je perds tout le monde, navigue au hasard dans la foule, panique un peu de savoir quand rejoindre la ligne, me demande pourquoi je suis là, et si je battrais vraiment >95% des autres athlètes comme prévu. Je retrouve Estelle et le reste de nos supporters, quel plaisir de voir qu’on est pas seul. Ils auront une longue journée aussi, et ils font ça pour nous, s’agirait de pas les décevoir.
Natation
Sur la ligne la tension est palpable, notamment au moment de l’hymne national allemand. Pas de fameux “final countdown” qui m’avait marqué lors du premier iron de papa, mais quelques musiques qui ont la bonté de faire monter les pulses malgré le peu d’échauffement.
Après les pros masculins, puis deux minutes plus tard les féminines, vient notre tour de s’élancer dans la gouille. Un roll-down start dont le concept me plaît assez peu, mais qui il faut le dire est bien organisé. Quelques pas de course, boum dans l’eau, et déjà dans les pieds de ceux de devant. Je dépasse par la gauche, Daniel par la droite, et après avoir contourné un groupe Daniel semble déjà loin. Moi je me retrouve avec deux autres nageurs, monstre ligne droite nous attendant, le kayak à ballon rouge pas bien loin devant. Mes acolytes semblent vouloir se taper la dispute, ça m’énerve un peu alors je laisse passer et me cale dans les pieds.
Premier demi-tour après bien 500m, rien à signaler ça s’est déjà fortement étiré.
Sur le retour j’ai l’impression que ça zigzague un peu, et prend donc ma direction pour sortir juste devant eux à l’australienne. Re-plouf et devant ils sont loin, pas la peine de s’énerver. Derrière on me tape des pieds, après quelques temps je laisse repasser, me dis que quitte à perdre quelques minutes c’est des forces qui me seront utiles plus tard dans l’après-midi.
Je m’efforce donc à glisser un maximum, me réjouis d’entendre les spectateurs à la sortie de l’eau. On remonte bien sur des pauvres pros sans combi qui se font déposer par les meilleurs AG.
En me relevant un coup d’oeil rapide à la montre me donne 50min47, joli! Course en montée dans le sable jusqu’à T1, petit passage dans la piscine gonflable pour enlever le sable, prendre le sac et courir jusque sous la tente. Tout s’enchaîne bien, alors qu’il me semblait devoir penser à mille choses la veille. La combi loin, le casque enfilé, les lunettes de soleil aussi, le dossard à la taille. La combi de retour dans le sac avec un poil de peine, et c’est parti direction le vélo. Je vois pas grand chose avec des lunettes pleines de buée mais ça passera en quelques mètres. Course en poussant le vélo filmée par une gopro d’un volontaire et hop c’est parti.
Vélo
Une fois sur le vélo, et passé la sortie de forêt en mettant les chaussures et faisant attention aux racines, c’est sur une semi-autoroute vide à perte de vue que je me lance. Se mettre dans le rythme, sans trop forcer, en visant tout de même ses fameux 36-37km/h espérés. Puis je me dis qu’au fait rien ne sert de viser une vitesse, il vaut mieux y aller comme prévu au feeling, en checkant la puissance de temps en temps, et les kilomètres passeront bien comme il faut.
A l’approche de Frankfurt deux femmes pros me dépassent, puis ralentissent énormément devant des mini-virages (pourtant je suis pas spécialiste!). Ensuite elles se draftent semi-légalement (ie plutôt 7m que 12m), ce qui a le don de m’agacer. Un petit groupe avec deux-trois autres athlètes se forme, heureusement il explose dans The Beast. Une bosse qui m’a pas l’air d’en être vraiment une tellement elle passe vite et facilement, même si le compteur s’affole un peu avec quelques bouts au-delà des 350W. La descente est facile, mais je me fais reprendre quand même par 2 athlètes. Damn faudra que je progresse, mais aujourd’hui ça sera repos et sans agitation. Hühneberg suit peu après le passage pavé de The Hell, qui secoue bien. La bosse est à nouveau bien rodée chez moi, les jambes ont du répondant. Dans la descente je suis moins à l’aise et regrette un peu de sortir des barres une fois. Sur le plat derrière premier check, je suis bien, 250W de moyenne, la vitesse est ok voire un poil plus vite que prévu. Premières cloques sur l’intérieur de la cheville, bizarre mais pas plus gênant que tant.
Km 57 les choses changent drastiquement lorsqu’un groupe de 6 athlètes dont 2 pros masculins me reprend et peine à me dépasser. Mike Schifferle reste même derrière moi pendant un bon bout. On passe le demi-tour et entame la rentrée sur Frankfurt. Ça roule vite mais j’aimerai bien rester avec, d’autant qu’il y en a deux de mon age group. Je trouve bizarre que ça roule mal en montée, fort sur les faux-plats et relances. En descente alors que je tire derrière en laissant la distance certains les font en roue-libre à 5m de celui de devant. Pas très réglo tout ça. Très peu d’arbitres, qui en plus ne disent absolument rien quand ils nous dépassent.
Ça va trop vite, je le sens ensuite, mais quelque part je voudrais bien ne rien lâcher. Km95 la bosse finale de HeartBreak Hill arrive, elle semble plus une petite rampe gentille avec élan qu’autre chose, mais ça fait du bien de voir du monde au bord d’un parcours quasi-désert. Le groupe se défait un peu, ça attaque dans la descente, comme s’ils continuaient leur jeu de se lâcher si possible et de rouler tranquille sinon. Moi j’en ai assez, puis fait l’erreur au pied de la bosse de tenter quelques kilomètres rapides pour revenir, les voyant pas si loin devant se reformer autour de Daniel, mais sans succès. Ça sera tout de même presque 40 bornes à 270W de moyenne, soit trop. Je souffre alors, décide de ralentir le tempo, de bien manger, de m’asperger à tous les ravitos, de boire plus que prévu, et de rouler posé sans efforts autour des 220W. J’aurai peut-être mieux fait de rester à 250 tout du long, mais dans l’adrénaline de la course je me suis laissé emporter. S’agit maintenant de contenir ses efforts, de préparer le marathon.
Les kilomètres défilent toujours, c’est une bonne chose. J’ai un peu peur de ne plus passer sous les 5h, mais c’était juste une erreur de calcul mental. Revenir sur HeartBreak Hill me fait du bien, ça permet de se dire que c’est tout de suite fini. Je me suis un peu déçu dans les descentes à ne pas être le plus aéro et perdre du temps pour rien, mais sinon apprécie énormément un parcours facile et rapide, et trouve bien gérer le passage de moins bien. Tellement bien géré même que je retrouve des forces sur la fin, et me réjouis de revenir sur T2. 4h46 de route, quelques minutes de grappillées sur le planning.
Marathon
C’est pas juste une course qui nous attend ensuite, mais bel et bien un marathon. Si depuis Lucerne j’en ai plus trop peur, il faut dire que je n’avais toujours pas la certitude de le finir en enfilant chaussures, visière et gels dans la poche. Je me suis assis malgré mes dires d’avant course, et ai dépassé déjà trois concurrents sous la tente (ils faisaient un brushing?).
En partant zut oublié d’enlever les lunettes. Bon ben tant pis elles resteront sur le nez jusqu’à l’arrivée. Je me sens bien, sauf que j’attaque un peu plus du talon que prévu. A la montre ça va trop vite, sous les 4min par kilomètre. Ralentir ! Ou plutôt l’inverse 3’50, stop ! J’entrevois Daniel devant, je cours toujours trop vite en reprenant des concurrents. Arriverais-je à ralentir ?
La blessure au tibia me vaut quelques frayeurs rapides à 5km, avant de disparaître complètement. Les kilomètres défilent, je suis parti pour 8h30 à ce rythme. Je ralentis finalement pour me mettre au rythme de 3h au marathon. A chaque ravito c’est pareil, tout en courant, eau, iso, eau, glace ou éponges. Premier tour bouclé rapidement en 43min, le deuxième sera similaire mais plus contenu. Je me réjouis du nombre de supporters le long du chemin, regrette les 32C du soleil qui commencent à taper fortement sur le système, et le nombre de concurrents qui commence à augmenter et rendre le passage aux ravitos sans freiner plus difficile.
Peut-être que ne rien manger de solide était au final une erreur ? Dur à dire, mais en tout cas le ventre avait de la peine à prendre les gels sur ce marathon, et je vais le payer cher à partir du km 23. Peu après le passage au semi en 1h28 et des poussières, je commence à marcher aux ravitos pour essayer de retarder l’arrivée du “bonk”. Un peu de coca en plus, de l’eau salée. Footing entre ravitos et marche pendant sera ensuite mon régime. Cette ligne d’arrivée s’approche désormais de plus en plus gentiment. Je vois ma montre passer au-dessus des 5min/km, et arrête donc de la surveiller. Désormais c’est de la survie, je mange tout ce qui traîne sur les tables, mais toujours pas mes gels. Sauf un, le dégueulasse orange reçu à Nyon l’année passée. Celui qui était avec moi à vélo pour changer le goût si jamais je suis dans un trou. Et voilà que subitement il est bon. Je mettrai ma main dans un assiette de sel, mangerai un bout de bananes, des bretzels salé, un tuc, deux bouts de citron au sel (sans tequila), tenterai le redbull mais le recracherai juste à côté d’une bénévole qui a la bonté d’en rire. Coca à tous les ravitos, marche à tous mais jamais entre deux.
Dieu sait ce que ces tours sont longs, et qu’on se réjouit d’y rencontrer la foule de supporters rushtistes. Parfois je souris, parfois je tire la langue, souvent je pense à dire merci mais n’ai pas la force de formuler le moindre mot. C’est un combat que ces derniers kilomètres, il faut aller les chercher ces chouchous colorés au fin fond de la boucle le long du Main.
Arrivée
Et puis voilà. Km 40 je réalise que ça va le faire, en sortant du dernier grand ravito. Un coup d’oeil furtif à la montre me laisse le temps d’y arriver à condition de faire du 6min/km… Laaarge ! Je retrottine de plus en plus vite, me semble enfin repasser du monde. Continue à encourager les quelques rushtistes croisés le long du passage. Bifurcation sur la droite, lunettes enfin sur le front, combi refermée, bras écartés pour taper dans le plus de mains possible. Pas de “You are an Ironman”, mais je le suis bel et bien. Sub9 ! Dire que je pensais ne pas finir il y a de ça 10 jours. 8 heures 56 minutes et quelques poussières après s’être élancé dans l’eau, un marathon juste juste sous les 3h15 (mon premier objectif en s’inscrivant une année plus tôt, avant de le revoir à la hausse pour 3h00).
Je suis effondré par terre quelques mètres derrière la ligne quand ma bénévole me demande s’il faut un médecin. Plutôt du sucre oui. Elle reviendra peu après avec de l’eau et des éponges… Merci mais ça me déçoit. Il faut se relever, marcher, retrouver papa et Daniel au bord du stand coca, tremper les pieds dans un piscine froide. Je commence à grelotter malgré la chaleur accablante. Alors c’est passage à la douche, qui pour une raison que j’ignore se trouve au sommet de 5 marches d’escaliers. Quelle idée ! J’y reste bien 10min, pour me réchauffer à bout de forces (confirmant ma théorie d’entraînements que plus l’effort est difficile plus la douche doit être chaude derrière).
Post-iron
La journée est loin d’être finie, entre massage, radler qui me laisse mal à la tête, wienerlis succulentes, retrouver les supporters, re- manger, regarder les arrivées des copains, retrouver les affaires, rentrer à l’hôtel, manger et enfin se poser sur le lit vers 1h le lendemain matin. Pour ne pas dormir, trop excité de la journée qui vient de s’écouler. Je rate la place pour Hawaii d’un slot, Daniel ira donc seul de son côté. Le pied refait un peu mal, les cuisses sont lourdes pour 4-5 jours, mon “rest heart rate” approche les 70bpm.
De cet iron j’en garderai plein de souvenirs magiques, j’ai adoré le vélo où j’avais si peur de craquer, fait un temps au-delà de mes espérances en nageant avec des sensations moyennes, et bien explosé à pied où sans la blessure j’aurai été super confiant mais avec je me demandais si je finirai ou non la course. Comme on me l’a dit dans la préparation, à l’ironman il faut “expect the unexpected, and be prepared to be surprised”. Que des marines aient inventé le sport ne m’étonne pas, on a tous eu un moment où on en chie, mais quelque part on apprécie ça et on en redemande.
Il y aura beaucoup à analyser je pense, où gagner sur l’aérodynamisme vélo, comment retenir la leçon de patience que j’ai apprise alors, combien la charge d’entraînement à long terme importe bien plus que les deux derniers mois sont les premiers qui me viennent à l’esprit. Je m’y chargerai une fois la tête reposée, comme de placer les prochaines échéances d’une saison sûrement pas encore finie.
Mais tout d’abord, un grand bravo à tous ceux qui ont couru aussi, un énorme merci à ceux qui sont venus encourager et nous on porté le long du parcours orangé, et enfin mille remerciements à ceux qui ont écrit, regardé, pensé, félicité, traité ma blessure, redonné confiance, conseillé sur la course ou les entraînements, partagé un bout de ce chemin, aidé à la récupération, et toutes ces bonnes raisons pour lesquelles je suis fier d’avoir souffert physiquement comme jamais auparavant le jour de mes 25 ans...